Donald Trump est-il fou ou cynique ?
Canada, Groenland, Panama : Donald
Trump est-il fou ou cynique ?
« Je ne peux pas vous l’assurer.
Vous parlez du Panama et du Groenland. Non, je ne peux vous assurer ni l’un ni
l’autre. Mais je peux vous dire ceci. Nous en avons besoin pour notre sécurité
économique. » (Donald Trump le 7 janvier 2025 à Mar-a-Lago, à propos d'une
intervention militaire américaine).
La réponse à la question pourrait
être : Donald Trump est visionnaire... mais dans l'intérêt des Américains,
évidemment ! Il faut exclure la folie. Il faut toujours prendre le cynisme avec
Donald Trump, qui a porté à la puissance extrême l'égoïsme, l'égocentrisme et
les intérêts bien compris (les siens et ceux de ses copains). Les partisans de
Donald Trump disent que le futur nouveau Président des États-Unis met juste en
tension les relations pour aborder des négociations économiques en position de
force. Néanmoins, il faut comprendre ses motivations profondes.
Depuis quelques jours, le
Président élu, comme on l'appelle encore jusqu'au 20 janvier 2025, c'est-à-dire
qui ne représente pas encore les États-Unis mais qui va les représenter dans
dix jours, a fait une série de déclarations (notamment sa longue conférence de
presse tenue le 7 janvier 2025 à sa résidence de Mar-a-Lago en Floride) et de
tweets (ou autres) dans les réseaux sociaux qui ont de quoi inquiéter.
En gros, il souhaite trois choses pour les États-Unis : reprendre la souveraineté du Canal de Panama, fusionner avec le Canada et annexer Groenland. Rien que ça ! Les visées expansionnistes de Donald Trump ont de quoi effrayer la "communauté internationale", comme on l'appelle, d'autant plus qu'il n'a pas exclu de recourir à la force armée pour recourir à ses fins.
Les États-Unis attaquant militairement le Groenland voire le Panama, est-ce imaginable ? Il ne faut pas oublier l'épisode de la guerre des Malouines au début des années 1980 (2 avril 1982 au 14 juin 1982), entre le Royaume-Uni et l'Argentine qui voulait reprendre le contrôle des îles Falkland. Dans cette guerre, certains y ont perdu la vie (au moins 910 personnes, ce n'est pas négligeable).
Actuellement, Donald Trump ne représente pas les Américains et ses déclarations sont comme des slogans de campagne, sans la responsabilité d'État. En quelque sorte, c'est du teasing, ou plutôt, ce sont des menaces voilées, sans conséquence tout en secouant bien les acteurs concernés en insinuant qu'il faudra bien prendre au sérieux les demandes de Donald Trump. (La période de transition entre l'élection et l'investiture du nouveau Président des États-Unis est toujours un moment particulier). Ce qui est clair, c'est que Donald Trump a une vision claire de ce qu'il veut faire pour les États-Unis et qu'il reste encore et toujours imprévisible.
Le Canal du Panama a été construit
par les Français et par les Américains. Il est un point stratégique essentiel
des Américains pour naviguer de la la côte est à la côte ouest et inversement.
L'utilisation de ce passage par les Chinois pose problème à Donald Trump qui
souhaite réorienter économiquement ces flux. Le Panama n'a pas d'armée et c'est
une obligation constitutionnelle qui rend la reconquête du Canal par les
États-Unis sans vraiment de risques militaires. L'objectif de Donald Trump,
c'est la baisse des droits de péage pour les navires américains. Et, dans la
foulée, renommer le Golfe du Mexique par Golfe de l'Amérique.
Pour le Canada, la situation est à
la fois pareille et différente et il l'a réaffirmé après la démission du
Premier Ministre canadien Justin Trudeau le 6 janvier 2025 : Donald Trump
souhaite la fusion du Canada dans les États-Unis, en faire son 51e État. Il y a
des raisons économiques très fortes puisque Donald Trump voudrait pouvoir
profiter des gisements de gaz de schiste nombreux au Canada pour renforcer
l'indépendance énergétique des États-Unis. Sur le plan géopolitique, un
ensemble États-Unis-Canada représenterait plus de 19 millions de kilomètres
carré et serait le premier pays du monde en superficie, dépassant le premier
actuel, la Russie avec 17 millions de kilomètres carré. Après tout, ses
prédécesseurs ont déjà acheté (pour une poignée de lentilles à l'échelle de
l'histoire) la Louisiane et la Floride à la France et l'Alaska à la Russie. On
s'amusera... ou pas d'un tweet d'un fils Trump présentant son père faisant ses
achats de territoires sur Amazon (à la fin de l'année dernière, déjà).
Donald Trump, dans un renouveau de la méthode Coué, prétend que beaucoup de Canadiens souhaiteraient devenir citoyens américains (c'est-à-dire, citoyens des États-Unis), et expose les avantages d'une telle fusion : moins d'impôts pour les Canadiens, moins d'immigrés, plus de protection militaire. La réalité, c'est que la plupart des Canadiens n'apprécient pas du tout la vision politique de Donald Trump et sont très jaloux de leur indépendance.
De plus, les républicains
devraient se méfier de cette idée trumpienne car avec une telle fusion
(absolument improbable), les républicains risqueraient d'être privés de la
Maison-Blanche pendant longtemps. En effet, avec 35 millions d'habitants, le
Canada représenterait la même importance que la Californie et aurait une
cinquantaine de grands électeurs aux élections présidentielles, probablement
démocrates car c'est la sociologie du Canada.
Enfin, troisième annexion voulue, prendre au Danemark la souveraineté du territoire autonome (depuis 1979) du Groenland (des élections importantes y ont d'ailleurs lieu dans les prochaines semaines). L'île arctique fait 2,2 millions de kilomètres carrés et compte 55 000 habitants (nettement moins que Mayotte). Là aussi, les raisons économiques motivent Donald Trump, à la fois pour sa richesse minière qui pourrait lui permettre de se passer économiquement de Taïwan (ce qui serait grave pour les Taïwanais qui ne doivent leur autonomie/indépendance qu'à la seule protection de leur allié américain) et cela permettrait aussi de tracer une route maritime par le pôle Nord qui sera de plus en plus incontournable (car plus courte) avec le réchauffement climatique (que Donald Trump nie parallèlement !). Ce n'est d'ailleurs pas nouveau ; déjà le 18 août 2019, alors qu'il était Président en exercice, Donald Trump avait confirmé les rumeurs du 15 août 2019 sur son intérêt pour le Groenland : « Le concept a surgi et j'ai dit que stratégiquement, c'était certainement intéressant. » en évoquant une « grosse transaction immobilière ». Dans leur compétition avec la Chine et la Russie, les États-Unis ont toujours considéré le Groenland comme d'un intérêt géostratégique majeur pour leur sécurité nationale.
Les Français devraient se sentir
concernés par le Canada (leurs amis québécois) et par le Groenland. En
n'excluant pas de recourir à la force, Donald Trump a fait en effet carrément
une déclaration de guerre au Danemark, et donc à l'Union Européenne, et donc à
la France par incidence. Ce qui est stupide, c'est que les États-Unis auraient
intérêt à au contraire ménager ses alliés européens qui sont à peu près les
seuls fiables du monde multipolaire actuel. Et les objectifs économiques des
États-Unis (en gros, pouvoir exploiter sans taxe) seraient tout aussi bien
atteints sans un tel rapport de force qui va inquiéter inutilement ses alliés.
Cela a aussi, plus généralement,
une conséquence désastreuse dans le monde entier. Cet expansionnisme
territorial, qui fait retomber le monde au XIXe siècle (Donald Trump serait-il
l'empereur Smith des albums de Lucky Luke ?) casse tout le droit international
d'après-guerre et replonge la planète dans la loi du plus fort. Ce qui donne a
posteriori raison à Vladimir Poutine dans sa tentative d'invasion de l'Ukraine,
ou du moins, le conforte sur le fond, et confortera inévitablement la Chine
communiste à reprendre la souveraineté de Taïwan.
On le voit, la vision que Donald
Trump a du monde, elle n'est pas folle, elle est juste cynique. C'est celle des
intérêts des États-Unis mais aussi de ses propres intérêts particuliers et de
ceux de ses amis, comme Elon Musk. Une vision du seul contre tous, du rapport
de force permanent, de l'affrontement comme mode de dialogue, du coup d'État
permanent, pour paraphraser François Mitterrand. La plus grosse erreur que
pourraient faire les alliés traditionnels des États-Unis, dont font partie la
France et l'Europe, c'est de ne pas prendre au sérieux Donald Trump. En visite
au Quai d'Orsay à Paris ce mercredi 8 janvier 2025, le Secrétaire d'État
américain (Ministre des Affaires étrangères) Antony Blinken a assuré la France
des considérations cordiales que son pays nourrissait avec la France et le
monde, et a considéré que les relations se sont améliorées depuis 2020.
Malheureusement, les démocrates quittent le pouvoir (c'est la loi de la
démocratie) et les Européens en particulier vont devoir subir un mandat de quatre
ans qui ne va pas leur être de tout repos.
Pendant ce temps, en France, on
hésite à censurer le gouvernement parce qu'il hésite lui-même à abaisser l'âge
légal de la retraite alors que ses voisins (dont la Belgique) l'ont augmenté.
Pourquoi est-ce que je me sens comme en 1936-1937, à l'époque où les Français
étaient déjà complètement hors-sol malgré la situation internationale très
grave ? Réveillons-nous ! Nous ne sommes pas dans un monde de bisounours. Il
faut renforcer notre défense européenne.
par Sylvain Rakotoarison (son
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